L’HABIT FAIT-IL LE MOINE?

D’après votre expérience, l'habit fait-il le moine ou non ?

Je me suis longuement interrogée sur les apparences, leurs origines, leurs impacts, comme j'ai travaillé plus de vingt ans dans le secteur de la mode. A quoi sert un vêtement, la mode, sont devenues très vite des questions incontournables.

La mode est un vaste sujet, plutôt passionnant, l'histoire du costume depuis des siècles voire des millénaires, regorge de subtilités, d'anecdotes, d’aberrations, de souffrances, de somptuosité, de ridicule, d'excellence de savoir faire, d'autorité, de liberté.

En tout cas, ça fait bien longtemps que je réfute l'idée que la mode est superficielle, elle raconte tant sur nos sociétés, c'est un des meilleurs indicateurs sur leurs évolutions, vraiment ça en dit long sur leur fonctionnement.

Aussi, les vêtements parlent au-delà de nous-même, et nous contraignent parfois dans certaines postures, gestuelles, personne n'a la même stature en jogging basket qu'en robe moulante perchée sur 12 cm de talons... Certes, ils trahissent une facette de notre personnalité, mais pas toujours, enfin si, justement, il y a des personnes qui savent jouer avec les apparences, et créer de nouveaux personnages pour tromper leur monde. Heureusement, il y a notre extra-sensorialité qui nous donne d'autres infos, et qui nous permettent de démasquer les manipulateurs et tricheurs, encore faut-il savoir décrypter nos ressentis, cette fameuse première impression, avant de sombrer dans la paranoÏa ou sous l'emprise d'influenceurs.

Depuis l'enfance j'ai toujours aimé me déguiser, désormais pour mes vidéos et performances je crée moi-même mes costumes, j'aime endosser des personnages, c'est un jeu qui s'impose à moi dans mon art. Toutefois je ne me métamorphose jamais à 100%, mon regard est toujours là pour rappeler qui je suis, exprimer mes émotions, ou ce que mon cœur souhaite exprimer en arrière plan.

Dans bon nombre de mes vidéos et performances, je danse avec un ou plusieurs voiles, souvent noirs, ils symbolisent le voile qui sépare les mondes, notamment le monde des morts, c’est comme un vortex. Les voiles suivent mes danses que je vis comme des rituels. Ils sont aussi là pour suivre une transformation, quand je me fonds dans un personnage chamanique, cette métamorphose fait référence aux différents états de conscience modifiée qui s'enchainent pour voyager vers d’autres dimensions, des voyages chamaniques qui m'offrent des clés pour suivre ma quête de liberté. Les différents états de transformation dans mes performances évoquent aussi les esprits qui changent avec habilité d’apparences, lorsqu'ils jouent avec nous, nous n'avons pas toujours le même sens du jeu et de l'humour d’ailleurs.

Enfin la métamorphose permet un processus de sacralisation et souligne l'évolution permanente des fréquences vibratoires.

Ainsi je m'habille et me déshabille, rentre alors dans le jeu, mon corps, qui lui ,renvoie à la matière, au monde des vivants, à la fois objet de tentation, et hommage à la nature, à la femme. Je m'applique à définir mes limites, les frontières de la sensualité et de l'érotisme, cela m'amuse de flirter avec les codes de ce que renvoie la nudité, ou le dévoilement de certaines parties du corps. Tout reste lié à l'imaginaire et à la culture de chacun, même selon les sexes, les émotions, les regards, les jugements seront différents. Jusqu'ici j'ai été épargnée par d'éventuelles critiques fracassantes, c'est peut-être parce que j'ai su doser le degré de provocation ou du moins l'éviter, que chacun ait compris que la sensualité que je propose est mon univers poétique, ma volonté première est de montrer les corps dans la crainte qu'un jour cela ne soit plus possible, à cause d’une éventuelle censure, alors je privilégie l'hommage, du sacré du corps, de sa beauté dans sa grâce, son mouvement, sa charge émotionnelle. D'ailleurs, en quelques sortes je pourrais remercier les réseaux sociaux d’avoir boycotté le moindre bout de sein, cela a influencé mon travail, j'ai cherché comment contourner l'interdiction tout en m'y pliant.

Pour mon personnage de chamane, je préfère casser les codes de ce qui est connu, d'abord parce que toutes les tribus ont des langages vestimentaires différents, mais aussi parce que je sais que dans la tête de la plupart des personnes, quand on évoque le mot chaman, elles s'attendent à un style du genre néo-baba, avec un mix d'accessoires ou imprimés ethniques, quelque chose qui rappellerait les amérindiens, la Mongolie ou les hippies, bref vous voyez à peu près les clichés auxquels je vous renvoie.

Il se trouve que dans la vraie vie, j'ai des pratiques chamaniques, le propre du chamane c'est la liberté et l'apprentissage auprès des esprits, aucune dépendance à qui que ce soit, aucun gourou, donc il ne serait absolument pas justifié selon moi que je m'oblige à porter des tenues spécifiques pour pratiquer le chamanisme, je préfère bel et bien surfer sur ma propre vague en toute liberté. Néanmoins, j'adopte l'idée qu'un vêtement puisse être chargé d'une énergie protectrice. C'est pourquoi dans mes performances et vidéos je reste fidèle à mon univers dérivé des contes de fée, des mythologies, de la haute couture, le burlesque, les statues des déesses grecques, l'Egypte, avec du noir, du blanc, ça équilibre, des strass, des paillettes, les magazines de mode !

Bien des metteurs en scène, chorégraphes comme Angelin Preljocaj, Philippe Découflé, apportent, de mon point de vue, une touche 'mode', contemporaine, avec des costumes qui stimulent le rêve.

Oui rêver...le rêve tellement précieux pour moi, une évasion, une intensité, un souffle, un émerveillement.

Dans mon travail, les inspirations et références à la Mode font le lien avec l'éphémère, l'impermanence. La Mode est cyclique, les tendances naissent et meurent et renaissent autrement transfigurées.

Je vous invite à regarder la vidéo de la retransmission de ma dernière vidéo UN AUTRE MONDE en cliquant sur ce lien https://www.caroline-hanny.com/oeuvres/p/un-autre-monde. Elle illustre bien mes propos ci-dessus.

A bientôt

Caroline

Précédent
Précédent

Avez-vous déjà vraiment fait l'expérience d'une œuvre ?

Suivant
Suivant

L’HEURE DU CHOIX